400ème anniversaire de la naissance de Blaise PASCAL

400ème anniversaire de la naissance de Blaise PASCAL

A l’occasion de la publication de la Lettre apostolique du Pape François, Vincent LEMIÉRE, enseignant à l’INSR et responsable de formation à l’ISFEC-Normandie, nous propose sa lecture.

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Lettre Apostolique du Pape François

pour le quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal

Pour télécharger l’article en pdf Article sur Pascal par V Lemière

Le Saint Père, le Pape François, vient de publier une Lettre apostolique SUBLIMITAS ET MISERIA HOMINIS pour le quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal (1623 – 1662).

En écrivant cette missive le Pape François inscrit ses pas dans ceux de son prédécesseur, sa Sainteté le Pape Benoît XVI, qui n’a eu de cesse de vouloir réconcilier la foi en l’existence de Dieu et la raison humaine. Il suffirait de comparer le texte de son dialogue, en 2005, avec le professeur de philosophie Paolo Flores d’Arcais lorsqu’il était encore le Cardinal Joseph Ratzinger, le texte de sa Conférence de Ratisbonne donnée en 2006 et cette lettre apostolique rédigée par le Pape François pour s’en convaincre. Tous les deux reprennent à leur compte ce que nous pouvions déjà lire dans le Concile Vatican II qui s’acheva en 1965 : « Le saint Concile reconnaît que « Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées » (cf. Rom. 1,20)[1]».

En choisissant la périphrase de Pascal « Grandeur et misère de l’homme » pour décrire notre condition humaine, le Pape François fait de la raison, de notre capacité à réfléchir, le cœur de nos existences. Il n’y a pas, d’un côté, ce qui serait rationnel ou raisonnable et, de l’autre, ce qui ne serait que folie, d’un côté, ce qui serait de l’ordre de la science exacte et, de l’autre, la foi qui ne serait que « scandale pour la raison » comme l’écrit Saint Paul. La raison est à la fois ce qui fait la grandeur de l’homme, ce qui le différencie de toutes les autres créatures et ce qui peut le conduire aux comportements les plus absurdes surtout lorsqu’il « considère que tout se joue ici, dans notre existence, finie et incertaine. Et que, donc, ce qui compte, ce sont les valeurs que l’on choisit (soi-même) et la façon dont on se comporte[1] ». Lorsque la raison se prend pour sa propre fin, le risque de l’’irrationalité n’est pas loin car la raison se perd en chemin dès qu’elle ne se confronte plus à la réalité, dès qu’elle prétend être le tout de l’être humain comme si sa valeur venait de sa capacité à renier son incarnation.

Pascal ne considère pas la raison comme une réalité désincarnée, comme si tout ce que nous sommes, notre réalité corporelle, la dimension affective de notre être… devait être disqualifié au profit de la seule raison. C’est l’erreur de l’homme moderne qui absolutise sa rationalité au point de définir son humanité à partir d’elle en oubliant trop vite que les pires horreurs que l’homme ait pu commettre sont parées des habits de la raison. Le brigand n’est pas nécessairement une personne irrationnelle. C’est pourquoi Pascal écrira dans ses Pensées « Voilà ce qu’est la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison ». Le Pape François reprend cette idée dans sa Lettre apostolique en commentant ainsi la pensée de Pascal : « Les vérités divines – comme le fait que le Dieu qui nous a faits est amour, (…) qu’il s’est incarné en Jésus-Christ, mort et ressuscité pour notre salut – ne sont pas démontrables par la raison, mais peuvent être connues par la certitude de la foi, et passent ensuite du cœur spirituel à l’esprit rationnel, qui les reconnaît pour vraies et peut les exposer à son tour ».

Ce point est essentiel et forme, d’ailleurs, le point d’achoppement du débat entre le Saint Père Benoît XVI et le professeur Paolo Flores d’Arcais : « Paul utilise une expression qu’il faut, je croix, prendre à la lettre, la folie de la croix. (…) Ce qui caractérise le christianisme et que Paul répète sans cesse, ce n’est pas seulement la foi en un Dieu unique, c’est la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité. C’est la résurrection qui est la clé essentielle, la différence spécifique de la religion chrétienne. Et dans sa célèbre dispute avec les philosophes devant l’Aréopage, ce n’est pas un hasard si – comme le racontent les Actes des Apôtres – aussi longtemps que la discussion porta sur Dieu, sur un Dieu unique, elle put avancer, mais dès qu’il fut question de résurrection des morts, tous, même pas scandalisés ni incrédules mais simplement ennuyés, s’en allèrent. Parce que cela semblait vraiment être, était vraiment folie pour la raison. (…) Alors, l’élément essentiel, c’est justement cette folie pour la raison, la folie de la croix, de la résurrection, l’insistance sur le thème de la « résurrection des morts », la résurrection corporelle. Tout cela selon moi indique qu’il faut affirmer la foi comme un droit qui, cependant, est en contradiction avec la raison[2]. »

Pascal, et le Pape François qui le commente, expriment ainsi, chacun à leur façon, à quatre cents années de distance, la même réalité : il existe des vérités qui habitent l’homme et qui dépassent sa capacité rationnelle plus qu’elles ne s’opposent à elle. La folie de la croix, en effet, est plantée là, face à la raison et en dessine les limites ; ce qui l’ouvre, de fait, à d’autres possibilités de recherche. La vocation de la raison ne se réduit plus à l’incarnation dans le seul esprit scientifique et aux développements infinis de techniques dont le but premier reste la maîtrise du vivant, la recherche du confort, l’enfermement dans un monde de consommation sans fin. Là où l’usage de la raison finissait par réifier l’homme, la raison prend la main du cœur pour habiller l’homme d’humanité. C’est exactement ce que nous trouvons dans le Concile Vatican II à la suite de la citation précédente : « (…) Mais il enseigne qu’on doit attribuer à la Révélation « le fait que les choses qui dans l’ordre divin ne sont pas de soi inaccessibles à la raison humaine, peuvent aussi, dans la condition présente du genre humain, être connues de tous, facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur[3]. »

Ainsi, entrons-nous dans la logique de la charité. Notre Pape François, cheminant avec Pascal, nous montre clairement que l’Amour n’est pas une réalité fantasque qui serait en sa nature même irrationnelle. Avec Pascal nous comprenons que la raison n’est pas seulement du côté des sciences dites exactes qui en auraient seules l’apanage. Nous ne sommes pas du tout dans une lecture manichéenne de l’existence humaine où l’homme serait en son cœur même coupé en deux entre, d’un côté, ce qui relèverait de la saine raison et qui déterminerait une méthode évidente, scientifique pour en recueillir les fruits et, de l’autre, ce qui relèverait de l’existence affective, corporelle, source de tous les maux qui abimeraient la nature rationnelle de l’homme.

Pascal s’inscrit pleinement dans la suite de la lettre de Saint Paul aux Romains : « Ne vous conformez pas à l’air du temps. Laissez-vous transformer par l’intelligence nouvelle, elle vous aidera à discerner quelle est la volonté de Dieu, bonne, agréable, parfaite[4]. » Aussi, même si le Pape François ne le mentionne pas, nous retrouvons dans tout son texte, en filigrane, l’invitation de Pascal à faire un pari, pari qui associe cœur et raison, qui témoigne d’une véritable intelligence du cœur. Le pari que nous propose de faire Pascal, en effet, est très simple, même si la logique qui le sous-tend relève de la logique mathématique des probabilités. Il consiste finalement à faire le pari de l’Amour. Il est, de fait, probable que toute personne qui choisira de faire de son existence une vie animée par la charité sera, à un moment donné, confronté à la présence de Dieu car son chemin de vie sera celui d’Emmaüs[5].

Aussi, l’ouverture du cœur, touché par la grâce de l’Amour est, dans le même mouvement, un appel à la raison pour qu’elle vienne accomplir en toute plénitude ce que le cœur pressent : « Mais la vérité (religieuse) doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, par le moyen de l’enseignement ou de l’éducation, de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité ; la vérité une fois connue, c’est par un assentiment personnel qu’il faut y adhérer fermement[6] ». Faisons donc le pari que Dieu est et que l’Amour l’emportera : « C’est pourquoi je propose à tous ceux qui veulent continuer de rechercher la vérité – tâche qui en cette vie n’a pas de fin –, de se mettre à l’écoute de Blaise Pascal, un homme à l’intelligence prodigieuse qui a voulu rappeler qu’en dehors des visées de l’amour il n’y a pas de vérité qui vaille : « On se fait une idole de la vérité même, car la vérité hors de la charité́ n’est pas Dieu, et est son image et une idole qu’il ne faut point aimer ni adorer[7]. »[8].

 

 

Vincent Lemière

Caen, le 17 juillet 2023

 

 

[1] – Paolo Flores d’Arcais, Est-ce que Dieu existe ? Dialogue sur la vérité, la foi et l’athéisme, Éditions Manuels Payot, 2006, p. 14.

[2] – Paolo Flores d’Arcais, Est-ce que Dieu existe ? Dialogue sur la vérité, la foi et l’athéisme, Éditions Manuels Payot, 2006, p. 18-19.

[3] – Concile Vatican 2, La transmission de la Révélation divine, p. 129, Éditions du Centurion, 1967.

[4] – Lettre de Saint Paul aux Romains, 12.1 (Traduction La Bible)

[5] – Évangile selon Saint Luc, 24, 13-35.

[6] – Concile Vatican 2, La liberté religieuse, p. 675, Éditions du Centurion, 1967.

[7] – Pascal, Pensées (Le Mystère de Jésus), Laf., n. 926.

[8] – Lettre Apostolique du Pape François pour le quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal.